Aléa, vulnérabilité, résilience et risque sont aujourd’hui des termes très fréquemment usités pour expliquer des phénomènes et des situations de divers ordres rendant aujourd’hui assez difficile pour le profane de comprendre ce que ces notions définissent intrinsèquement. Il est ainsi nécessaire, en préambule, de proposer un éclairage sur le sens de chaque terme qui ne sont pas uniquement des synonymes (aléa et risque) ou des antonymes (vulnérabilité et résilience) mais doivent se comprendre dans leur complémentarité.
Aléa : la source du danger
Aléa et risque sont deux notions intimement liées puisque l’étude des risques a durant de nombreuses années été principalement menée à l’aune de l’analyse des aléas. Un aléa est la probabilité qu’un évènement perturbateur se produise au cours d’une période en un endroit donné. Malgré cette apparente simplicité, la notion d’aléa désigne ainsi autant les caractéristiques d’un phénomène, qu’il relève d’une inondation, d’un séisme, d’une explosion dans une usine chimique ou d’un acte terroriste par exemple, que sa probabilité de survenue et d’intensité. La notion d’aléa comporte donc une large part d’incertitude.
La probabilité d’occurrence d’un aléa est fréquemment calculée sur la base des connaissances historiques des évènements de même nature qui ont touché un territoire. C’est ainsi que par la statistique des périodes de retour de 1, 10, 50, 100 ans et plus sont estimées. À ce sujet, il est important de comprendre qu’une période de retour de 10 ans ne signifie pas qu’un évènement de cette nature, prenons ici l’exemple d’un débordement de cours d’eau, se produit et continuera de se produire une fois tous les 10 ans. Au contraire, cela signifie qu’un évènement de cette intensité, ici une hauteur d’eau ou un débit par exemple, a chaque année 1 chance sur 10 de se produire. Nous parlons dans le cas présent de crue décennale. Une crue d’intensité décennale peut donc se produire plusieurs fois par an ou sur plusieurs années à la suite même si cette probabilité est infime. La récurrence prononcée d’événement de cette intensité fera ensuite évoluer l’analyse statistique pour définir de nouveaux temps de retour en accord avec l’évolution des conditions contemporaines, en l’occurrence climatique pour rester dans l’exemple pris.
Pour des événements rares, comme dans le secteur de l’industrie nucléaire ou du terrorisme, l’estimation de la probabilité de survenue de l’aléa est soit mesurée par une évaluation directe et objective tirée d’enquête soit à partir de calculs successifs sur l’ensemble des combinaisons d’évènements (rupture d’une tuyauterie, défaillance du système d’alerte…) qui peuvent survenir en un lieu donné et assurer sa fiabilité ou sa vulnérabilité.
Vulnérabilité : l’exposition et la sensibilité d’un ou de plusieurs enjeux
La vulnérabilité rapproche l’aléa de la notion de risque puisqu’elle introduit l’idée d’exposition d’un ou de plusieurs enjeux (industrie, établissement de santé, réseau de distribution d’eau potable, poste de distribution d’électricité…) à une source de danger et/ou des capacités de réponse d’une société à un élément perturbateur. Dans cette seconde acception, la vulnérabilité devient un quasi-synonyme du concept de résilience qui, comme nous le verrons, doivent tous deux être plus compris dans un continuum que dans une opposition. En effet, dans une lecture traditionnelle silotée, la vulnérabilité renvoie à la faiblesse des sociétés ou enjeux et la résilience à leur force. Cette dichotomie apparente découle, vraisemblablement, d’une compréhension lacunaire de la notion de vulnérabilité qui est souvent restreinte à son volet biophysique sans tenir compte de ses composantes sociales et territoriales.
La vulnérabilité biophysique est l’approche la plus ancienne dans l’étude des risques. Celle-ci entend la vulnérabilité comme la composante qui mesure l’endommagement réel ou potentiel qu’un ou des enjeux peuvent ou pourront subir si l’aléa identifié qui les menace survient. Les Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN) se reposent, dans leur conception, sur cette approche biophysique de la vulnérabilité. Elle s’appuie sur 3 facteurs : l’exposition d’un ou des enjeux à un aléa, leur résistance et leur sensibilité (ou degré d’endommagement). Bien qu’étant encore au cœur des discussions, il est important de relever que cette définition de la vulnérabilité est aujourd’hui largement considérée comme trop limitée. En ce sens, de nouvelles conceptions de la vulnérabilité ont émergé depuis, désormais, un peu plus d’une vingtaine d’année au premier rang desquelles la vulnérabilité sociale et la vulnérabilité territoriale.
La vulnérabilité sociale renvoie aux capacités des individus et des sociétés à prévoir la survenue d’un aléa, y faire face, le gérer puis le surpasser. Cette approche de la vulnérabilité se concentre ainsi plus sur la dimension humaine des organisations et/ou sociétés et s’affranchit de la seule analyse de l’aléa. La vulnérabilité est définie à partir de différents critères individuels, tels que le niveau économique des populations, l’âge et leur culture, et collectifs, telle que la préparation à la gestion de crise entre citoyens, élus et services de sécurité civile. Toutefois, le cadre d’analyse de la vulnérabilité sociale ne prend que peu ou prou en compte le contexte géographique, au contraire de la vulnérabilité territoriale.
La vulnérabilité territoriale ajoute dans le cadre d’analyse, outre les aspects biophysiques et sociaux, l’identification des lieux et enjeux à partir desquels des perturbations se propageront au sein d’un territoire ou, à l’inverse, permettront d’empêcher ou de limiter la propagation d’effets négatifs. Le postulat de cette troisième approche est qu’il existe des éléments dans un territoire dont l’importance et/ou le caractère stratégique sont propices, en cas de défaillance, d’engendrer et de diffuser leur vulnérabilité à l’ensemble du territoire. L’analyse de la vulnérabilité territoriale inverse ainsi la lecture en ne se focalisant pas, au départ, sur un ou des aléas mais en s’intéressant aux éléments qui assurent le fonctionnement de l’ensemble du territoire. Cette démarche, au même titre que la vulnérabilité sociale, replace le champ d’analyse sur le terrain des décideurs et gestionnaires en portant l’attention non pas sur un événement probabiliste (l’aléa) mais sur les éléments majeurs (hôpital, mairie, station d’épuration…) concrets sur lesquels ils ont les moyens d’agir.
Ces trois approches de la vulnérabilité sont complémentaires en questionnant tout autant la fragilité des sociétés et des territoires que leur capacité à faire face et à surmonter les perturbations. La vulnérabilité s’ouvre, dans cette acception, sur le concept de résilience.
Résilience : la capacité d’un territoire ou d’une société à faire face
La résilience est un concept polysémique puisque né dans le champ de la physique et de la métallurgie avant de transiter en écologie pour finalement s’épanouir dans les sciences sociales. Il désigne pour la cyndinique (regroupement de toutes les sciences qui étudient les risques) la capacité d’un système (un territoire ou une société par exemple) à faire face à un événement perturbateur et à revenir à son état initial. La résilience met donc l’accent sur les capacités de résistance, d’absorption, d’adaptation et de réorganisation d’un territoire ou d’une société. Les notions de vulnérabilité et de résilience présentent de nombreuses zones de recoupement entrainant l’émergence, depuis une dizaine d’années, de la notion de vulnérabilité résiliençaire.
Ce néologisme introduit l’hypothèse que la vulnérabilité peut entraîner des effets bénéfiques lorsqu’elle conduit à des adaptations positives et, inversement, que la résilience peut elle-même être porteuse d’effets négatifs lorsqu’elle s’associe à un faux sentiment de sécurité. La présence d’ouvrages de défense contre les crues, telles des digues, renforcent en effet la résilience d’un territoire contre un aléa d’une intensité donnée mais peuvent être facteurs de vulnérabilité contre des événements extrêmes car sous-dimensionnés pour ces degrés d’intensités. Ces ouvrages ne fournissent pas une protection absolue et doivent ainsi être toujours évalués à l’aune des critères et scénarios qui ont concouru à leur dimensionnement. Cette vulnérabilité résiliençaire a malheureusement deux cas d’école qui illustrent parfaitement ce faux sentiment de sécurité et d’incompréhension entre ouvrage de protection, leur dimensionnement et intensité des aléas : le drame de La Faute-sur-Mer lors de la tempête Xynthia en 2010 et la catastrophe de Fukushima en 2012.
Risque : une notion composite qui intègre aléa(s), vulnérabilités et résiliences
Le risque est, en somme, le produit de ces 3 notions. Un risque est la combinaison d’un aléa qui menace la vulnérabilité d’enjeux mettant ainsi en jeu la résilience du système exposé. Il est important de relever qu’il existe un risque uniquement quand un aléa se manifeste dans un territoire où sont présents des enjeux relatifs aux sociétés humaines et à l’environnement. Pour illustrer cela, nous pouvons reprendre la célèbre maxime : « un aléa sismique en plein désert n’est pas un risque. Un séisme à San Francisco : voilà le risque majeur » ou au célèbre débat entre Rousseau et Voltaire suite au désastre de Lisbonne en 1755 qui ouvrit pour la première fois une réflexion sur la responsabilité humaine face aux périls naturels.
Le risque est au même titre que l’aléa du domaine du potentiel car il désigne un événement qui ne s’est pas encore produit mais pour lequel nous pressentons, s’il se manifeste, des effets négatifs pour les individus et/ou collectifs qui le subiront. Le concept de risque s’appuie donc sur deux composantes essentielles : le danger et son potentiel d’effet sur les enjeux exposés. Il existe, dès lors, différentes classifications des risques mais la plus courante, bien que restrictive, ordonne ces derniers selon les 4 grandes familles d’origine des aléas : naturelle, du vivant, technologique et de société. Cette conception « silotée » facilite la définition mais n’est, en soit pas très pertinente car enferme dans des domaines clos des aléas qui, bien souvent, se succèdent. Pour reprendre l’exemple du séisme de Lisbonne en 1755, le tremblement de terre a généré un raz-de-marée et d’immenses incendies.
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